« Je voudrais montrer à mes élèves qu’ils ont le droit de changer le monde à leur manière »

Rencontre avec Victor Malzac, normalien en lettres et futur enseignant

Étudiant en 4e année de littérature, Victor Malzac prépare actuellement l’agrégation de lettres modernes et publiera son deuxième recueil de poésie en novembre 2021. Retour sur le parcours de ce futur enseignant qui, tenté un temps par les mathématiques, a trouvé sa voie dans le tumulte des mots.
Victor Malzac © Frédéric Albert
Victor Malzac © Frédéric Albert

En octobre, Victor Malzac remportait le Prix de poésie de la Vocation initié par la Fondation Marcel Bleustein-Blanchet pour son recueil Dans l’herbe, qui paraîtra en novembre 2021 aux éditions Cheyne. Et le normalien de 22 ans n’en est pas à son premier ouvrage. En 2020, il publiait Respire aux Éditions de la Crypte, ouvrage lui aussi primé. Depuis 2015, il contribue à de nombreuses revues littéraires, parmi lesquelles Arpa, Recours au poème, Place de la Sorbonne, ou encore Les Cahiers Tristan Corbière, pour n’en citer que quelques-unes. Nourri par les mots, Victor rêve de transmettre sa passion aux plus jeunes et prépare aujourd’hui l’agrégation de lettres modernes.

« Je me suis mis à oser ce que j’avais toujours voulu faire »

S’il a trouvé sa voie, il est difficile d’imaginer que ce normalien en 4e année de littérature ait failli se tourner vers des études d’économie. Originaire de Saint-Georges d'Orques, une petite ville en bordure de Montpellier, Victor s’oriente après le Bac vers une classe de première scientifique, spécialité mathématiques : « j’aimais les maths, un peu les langues, mais guère plus, je ne portais pas un intérêt massif pour les cours et j’étais moyen dans les matières littéraires, surtout en histoire » admet le normalien. « Les professeurs m’ont donc conseillé de poursuivre une classe préparatoire économique. » Sur la liste d’attente d’une prestigieuse prépa économique et commerciale, il est admis en parallèle en hypokhâgne au lycée Joffre de Montpellier. « Cette dernière option, même si je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre, résonnait comme une évidence » se souvient-il. « Sans écouter mes enseignants, j’ai fait ce choix seul et me suis mis à lire, à oser faire ce que j’avais toujours voulu faire ». D’abord inquiets face à cette voie qu’ils connaissent peu, les parents de Victor le soutiennent et sont rassurés  très vite : « nous n’avions qu’une très vague idée de ce qu’était l’ENS, la préparation aux concours, le monde des lettres classiques… » explique-t-il.

Comme ses proches, l’étudiant ignorait tout de l’École avant son entrée en khâgne. Il y avait bien cette grand-mère, professeur de lettres à la retraite, que Victor côtoyait peu. « La seule vraiment familière avec le milieu littéraire » qui connaissait l’établissement explique-t-il. « Il y a son spectre quelque part, c’est tout. C’était une femme qui devait se sentir très seule et je pense qu’elle aurait été fière de moi autant que les autres membres de ma famille. »

Victor intègre l’École normale supérieure en 2018, guidé par ses enseignants, dont Luc Verrier, son professeur d’anglais. « L’ENS est la voie idéale pour une carrière dans l’enseignement ou la recherche. » explique le normalien, qui depuis toujours se rêve enseignant. « Il y a une richesse et une exigence des cours proposés inégalées, l’immense bibliothèque, un confort matériel aussi et le désir d’habiter Paris. Ce genre d’évidences-là », énumère-t-il.

Paradoxalement, il estime qu’avoir tardivement connu l’École a été bénéfique à sa préparation du concours d’entrée : « J’ai envisagé l’ENS comme quelque chose de possible, je n’ai pas eu peur d’intégrer l’école puisque je n’en savais pas les exigences avant d’entrer en khâgne », se rappelle-t-il. « Mais familier ou pas avec l’École normale, ce qui compte lorsqu’on tente le concours, c’est d’oser être soi, apprendre à parler et à avoir ses idées », conseille le normalien. « Comprendre aussi qu’il n’y a que dans la contrainte que l’on crée, que l’on s’alimente. Le concours n’est pas quelque chose de naturel, ça se travaille, il y a un cahier des charges. Dans ce travail, une place pour la créativité est possible, mais seulement une fois les exigences remplies, c’est normal. Après cet effort, la vie est plus vivable en général, on s’apprivoise, on ose davantage », tempère-t-il.

Le besoin d’aller voir ailleurs

Désormais en troisième année, Victor a suivi d’abord un master de théorie littéraire « avec passion », étudiant les vers du célèbre poète Tristan Corbière. Le normalien a terminé ensuite un second master de géopolitique cette fois « pour ouvrir un peu l’horizon des possibles ». Ce cursus l’a amené à travailler en  ambassade et pour la Méditerranée . Depuis septembre, il se prépare au concours de l’agrégation de lettres modernes et se donne deux ans pour y arriver.

Heureux à l’ENS, l’étudiant est aussi reconnaissant envers l’École dont il reconnait le caractère singulier et apprécie la manière d’être proche des étudiants. « Il y a des gens passionnants, des gens qui ont, comme moi, une véritable passion intellectuelle et un attachement au réel. Je ne trouve pas le lieu si abstrait et loin du monde que l’on décrit parfois ». Curieux de tout, Victor apprécie la qualité et l’ouverture des enseignements autant que « cet intérêt porté aux choses transdisciplinaires, ce besoin d’aller voir ailleurs, dans les autres matières ».

« L’École me donne matière à penser, considère mon savoir et les domaines que j’aime, la poésie surtout, en m’aidant à l’incorporer à mon parcours universitaire sans le dénaturer. »

 

Rendre le réel plus vivable

L’étudiant se souvient d’un cours de creative writing particulièrement marquant, qui lui a permis de rencontrer un de ses poètes préférés, ou encore d’un atelier de lecture et d’écriture de poésie un peu moins académique suivi en 2018. De ce « terreau fertile » est née Point de chute, une revue fondée avec ses camarades Stéphane Lambion et Lénaïg Cariou, en pleine pandémie. « Nous proposons des cabanes, huit cabanes par numéro à peu près, c’est-à-dire huit pages pour chaque artiste, qu’iel peut investir comme bon lui semble », détaille Victor. « Il s’agit de montrer des intérieurs, des façons de vivre, sans jugement aucun et avec une variété possible ; les numéros se contentent juste des textes, sans aucune présentation, manifeste ou préambule. Il s’agit de laisser la parole aux gens qu’on a sélectionnés. » La revue fonctionne par appel à texte, les étudiants ne sollicitent personne directement, et choisissent exclusivement des auteurs qui n’ont pas encore publié, qui sont hors des circuits éditoriaux et qui, bien qu’audacieux, sont presque invisibles.

Contributeur lui-même auprès d’une dizaine de revues littéraires depuis quelques années, Victor s’épanouit pleinement dans les mots. Avec déjà deux recueils de poésie à son actif, à la question pourquoi écrivez-vous, il répond : « je ne sais pas sur quoi j’écris, je ne sais pas non plus pourquoi. Je sais qu’il y a une impulsion, un besoin, un souffle, une asphyxie aussi. Mes textes sont généralement très étouffants à lire, ça rumine, ça bégaie. J’essaie de rendre le réel plus vivable, j’en fais une matière à rythme, je crois. Il s’agit de prendre la vérité des choses, les angoisses derrière les petits gestes, comme se ronger les ongles, mal dormir, manger gras, ou alors les épreuves, la rupture amoureuse, le deuil, en bref les réalités auxquels on fait face et dont on a honte souvent. Je prends ces choses et je les rends plus vivables en y mettant du rythme, de la musique. Dans la musique, il y a quelque chose de collectif que j’aime beaucoup, ça rassemble un tas d’émotions et on les vit ensemble. J’aime ceci, et j’espère que mes livres peuvent rapprocher les gens, les aider à avoir moins honte aussi. »

La parole légitime

Rédacteur en chef et auteur et demain enseignant, Victor veut transmettre son amour des mots et « leur pouvoir de guérison ». Avec Les Éditions de la Crypte, qui ont publié son premier recueil, il participe ainsi à des résidences d’écriture en milieu rural « dans le but d’intéresser les collégiens aux apports de la langue, à ce que la langue peut susciter en eux ». Par ce biais, celui qui a passé son enfance dans la campagne héraultaise, espère « montrer aux adolescents des moyens de faire taire souffrances et hontes ». Ces résidences d’écriture imaginées avec la Crypte sont autant de « lieux libres où la parole est légitime, au-delà de toute considération esthétique ».

Nul doute que ces expériences nourriront demain la pratique d’enseignant de Victor. Il sera de ceux qui montreront aux jeunes la littérature et l’écriture comme autant de lieux où la vie peut prendre des formes différentes. Il voudra leur montrer « qu’ils ont le droit de changer le monde à leur manière, de l’interpréter en tout cas ».

 

 

Dans la bibliothèque de Victor Malzac
Une liste de lecture presque exclusivement composée de poètes contemporains.

 

J’ai rencontré Christophe Tarkos par hasard, dans la bibliothèque. Je conseille à tous de lire PAN, qui est un livre long, unique en son genre, sur lequel j’ai pu faire une conférence dans le cadre du séminaire « L’évidence poétique » en 2021. C’est une langue inimitable, terriblement simple, avec des textes en blocs qui se mâchent, qui font des pâtes de mots, qui perturbent. Ma première lecture a été horrible, j’ai mis du temps à le comprendre.

 

Il y a aussi Monique Wittig, surtout L’opoponax, qui relate les souvenirs d’école en vrac d’un groupe de jeunes filles, dans une langue proche de celle des enfants.

 

Le cours de creative writing m’a permis de discuter et de rencontrer Emmanuel Laugier, dont j’avais dévoré L’œil bande pendant ma khâgne. C’est un recueil de poèmes assez inquiétant, qui se rappelle de Georges Bataille en montrant des flashs, des images successives de la ville, des trottoirs, des lieux sales, comme si nous avancions dans cet enfer privés de corps.

 

Durant ma scolarité et lors de la sortie de mon premier livre, j’ai dû faire des lectures de poésie qui m’ont permis de rencontrer Felip Costaglioli, une personne formidable et obstinément vivante, qui a déjà publié une trentaine de recueils de poèmes. Je conseille Ce qu’on vaut de poussière, qui est un grand livre vert avec des pages bleu clair, qui évoque un enfant fou, vivant, androgyne, courant dans tous les sens.

 

Enfin, je conseille de lire Laura Vasquez, La Main de la main, texte duquel je me sens proche et qui sonne particulièrement bien, court mais intense, lauréate du Prix de poésie de la Vocation en 2014.